Pèlerinage stationnaire.

J’suis un peu intense.

J’ai un collègue que j’ai un peu chicané. J’avais raison.

Mais bon, ils commencent à être un peu grand pour se faire chicaner.

Il est musulman et il se ramadan depuis quelques temps déjà.

Pour lui montrer à quel point je suis magnanime, j’ai décidé de partager une journée de son ramadan.

Le but du jeu est simple:

Ne pas boire ni manger entre 3h30 du matin et 18h. (C’est en lien avec le soleil. Pis le soleil il se la pète différemment selon les villes de la Terre.)

Il me semblait que c’était une aventure tout indiqué, surtout dans un des pays les plus chrétiens de l’Afrique!

Voici le journal d’un assoiffé (de savoir).

6h30. Puisque je passerai la journée à ne pas boire ni manger, pourquoi ne pas me réveiller 1h plus tôt. C’est surfait la réputation du sommeil.

6h55. J’ai fait le tour de mes emails. Et de mes messages facebook. Mes leçons apprises: on répond pas beaucoup à Facetime à 6h40 du matin (le party de prof est soit ben plate ou ben l’fun), yathzee c’est pour toujours, je suis le plus beau cadeau de fête de mon amie, ebay veut souligner la fête du canada, j’ai déjà ajouté 13 trucs sur ma to-do-list du jour.

7h00. Est-ce que je peux me rincer la bouche après m’être brossé les dents?

7h15. Dilemne. Je dois prendre mon anti-paludéen. Avec ou sans eau? À la dure alors…

7h20. Je viens d’avaler ma salive, suis-je disqualifié?

7h25. Ça cogne à la porte… Ça doit être ma soif. Ou peut-être un inconnu qui a déposé un café devant ma porte (Guylaine!?). C’est maman Régine! C’est aujourd’hui qu’elle vient me préparer des plats typiquement congolais. Mais quelle belle synchronicité… Hier, quand j’ai dit des méchancetés contre l’Angleterre qui affrontait l’Islande, le karma m’a entendu. Il est rancunier le karma. Shame shame shame. Mais en même temps, si je ne m’étais pas levé plus tôt, j’aurais accueilli maman Régine en bobette. Peut-être que l’Angleterre le méritait finalement.

8h10. Est-ce que j’ai le droit de faire une journée du ramadan pour un collègue ou bien c’est de l’appropriation culturelle?

9h25. On a des expressions bizarres. Mettre les bouchées doubles. Avoir du pain sur la planche. On fait pas d’omelettes sans casser des oeufs. C’est baveux j’trouve.

11h10. Une journée sans café, c’est une journée très smooth. Genre méditative ou agonisante. Un savant mélange des deux.Je commence à entendre des voix…

12h30. Je trouve que l’heure du dîner est une heure pour les bourgeois/capitalistes. Faut vraiment être en manque de repère pour se regrouper comme du bétail au son d’une cloche invisible pour manger et papoter la bouche pleine. Pffff.

13h05. Les gens sont mesquins. Ils m’attaquent sans cesse avec des phrases secrètes: Thon meat’ing est à kale heure? Poulet-tu hareng’er ça? Ils veulent me nuire, c’est clair.

14h20. Une rencontre de 45 minutes en parlant sans arrêt, ça t’assèche un gosier. Ma bouche est un mélange de sable et de glu.

15h45. Ça fait trois fois que je m’endors. J’suis narcoleptique intermittent. J’suis ben faible. Pas très excité. Le ramadan est un ritalin bon marché.

16h00. Un skype avec une amie. Enfin du soutient. On papote de tout et de rien. Elle m’interrompt pour aller se chercher un verre d’eau. C’est devenu un complot international…

16h10. Quand tu voyages en plein ramadan, as-tu le droit de réclamer des perdiems ou bien c’est de la fraude?

16h40. Une de mes collègues a décidé de ne plus s’habiller. Je suis probablement contagieux…

17h00. Arrivé à la maison. La maison empeste les victuailles. Maman Régine a cuisiné pour trois régiments. L’air est irrespirable tellement ça sent bon. Je suis la petite fille aux allumettes.

17h15. Combattre le feu par le feu. Je vais acheter quelque chose à l’épicerie. Étrangement, à l’idée que tout va finir dans quelques minutes, entouré de vivres, je me sens bien. Enfin un peu de repos.

17h59. Je suis dans le néant. Je flotte. Il y a les battements de mon coeur qui résonne comme un tam tam dans la nuit infini. Je suis tout. Je suis l’Afrique. Je suis en train de quitter mon corps. De la lumière?

18h00. Bon appétit.

(Je t’aime. J’ai deux vérités. Une douce, l’autre amère.)

(L’amère, c’est que ça doit être vivifiant de se sacrifier un peu, comme ça, pour sa foi. Ça doit l’être moins quand c’est par manque de moyen que tu jeûnes. Mon énergie était basse pour vrai. Ma concentration différente. Le jeu m’a surtout rapproché d’une réalité qui est toujours trop loin de nous.)

(La douce, c’est que ça m’a fait un bien fou ce skype de quelques minutes. Je pense que ça va être important qu’on se parle plus souvent toi pis moi. Lâche moi des coups de fil, des coups de whatsapp, des coups de facebook. Ça finira bien par adonner. Tu sais que jsuis pas bon pour donner des nouvelles. Pas game. )

(Je t’aime.)

 

5 réflexions sur “Pèlerinage stationnaire.

  1. Oh! Je l’avais sauté celui-là, entre le vrac et le lexique. C’est devenu mon préféré: ça croustille, ça donne soif, ça poursuit et ça pourlèche… beau petit détour dans l’estomac d’un autre. J’aime la façon dont tu passes des commentaires sur la société actuelle sans l’air d’y toucher: appropriation culturelle, ritalin, fraude et petite fille aux allumettes. Sans compter midi et demi! Ça c’est une belle observation ethnographique dis donc!
    Je te lis toujours avec grand plaisir et je vais me changer en ordinateur en septembre pour qu’Angèle m’emmène dans ses valises!
    Vava

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